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2 février 2019 6 02 /02 /février /2019 10:40

La clause de mobilité pose régulièrement question dans la jurisprudence. Par un arrêt inédit du 12 juillet 2018, la cour de cassation est venue confirmer une décision validant le licenciement pour faute grave d'un salarié refusant l'exécution de sa clause de mobilité contractuelle.

 


https://www.legifrance.gouv.fr/affichJuriJudi.do?oldAction=rechJuriJudi&idTexte=JURITEXT000037384245&fastReqId=263430078&fastPos=1

 

 

Un agent de sécurité, employé par une société selon un contrat prévoyant une clause de mobilité, a été licencié après ne pas s'être présenté sur un des lieux d'affectation où travaille son employeur, à Lisieux.

 

La clause du contrat de travail était libellée en ces termes : 

 

« Lieu de travail : tout lieu où la société exerce ou exercera son activité. Agence de rattachement administratif : Le Havre, Région : NO ».

 

Après ne pas s'être présenté sur le site de Lisieux et ne pas avoir justifié de son absence, le salarié a fait l'objet d'une convocation pour entretien préalable à licenciement pour faute grave, et ensuite d'un licenciement pour faute grave.

 

Le jugement du conseil de prud'hommes a confirmé cette sanction. Le salarié a alors interjeté appel de la décision. Mais les juges du second degré sont allés dans le sens des conseillers prud'homaux sur la base de plusieurs arguments.

 

La cour d'appel a d'abord jugé la clause valide en présence d'un déplacement au sein de la région. Elle a ensuite estimé qu'un intérêt de l'entreprise était indéniable en raison des difficultés économiques rencontrées par la société et de l'impossibilité pour celle-ci de pourvoir au remplacement du salarié sur le site. Enfin, la cour a considéré que le salarié ne pouvait pertinnement arguer d'une atteinte significative à ses intérêts privés et familiaux en raison de seules difficultés sur sa santé.

 

Le salarié s'est alors pourvu en cassation sur la base de deux principaux arguments. D'une part, la clause de mobilité n'était pas valable en raison de l'absence de définition précise de son champ d'application, et d'autre part, l'employeur ne prenait pas en charge les frais de déplacement supplémentaires occasionnés par la nouvelle affectation ce qui empêchait le salarié d'honorer ses engagements contractuels.

 

La Chambre sociale a rejeté le pourvoi en jugeant que la clause de mobilité avait été mise en oeuvre dans l'intérêt de l'entreprise, et ne portait pas atteinte de manière disproportionnée à la vie familiale du salarié. Elle a rejeté les autres branches du moyen en estimant que la cour d'appel a motivé suffisamment sa décision, et que, ce faisant, il n'y avait pas lieu à prononcer la cassation. 

 

C'est une décision qui ne dégage pas de règle de droit comme pourrait le faire un arrêt de principe. Elle s'inscrit dans la démarche d'une jurisprudence récente qui consiste à voir le refus du jeu d'une clause de mobilité comme une faute grave du salarié. Cet arrêt doit être d'emblée relativisé en l'absence d'attendu de principe et en raison de l'aspect inédit du libellé de la décision. Néanmoins, il est l'occasion pour nous de rappeler les grandes règles applicables en matière de clause de mobilité.

 

La clause de mobilité n'est pas évoquée par la loi et peut se définir comme la clause du contrat de travail par laquelle le salarié consent par avance à changer de lieu d'exécution de sa prestation de travail.

 

Elle est soumise à trois conditions. Elle doit définir de façon précise sa zone géographique d'application, être mise en oeuvre dans l'intérêt de l'entreprise, et ne pas porter une atteinte disproportionnée au droit du salarié à une vie privée et familiale normale.

 

 

La définition précise de son champ d'application

 

 

La clause de mobilité doit définir de façon précise sa zone géographique d'application et ne saurait conférer à l'employeur le pouvoir d'en étendre unilatéralement la portée (Soc. 7 juin 2006 ; Soc. 14 oct. 2008).

 

En l'absence d'une telle précision, elle est frappée de nullité (voir notamment, Soc. 20 février 2013, pour une clause prévoyant une mutation en tout lieu où l'employeur ou une société du même groupe est implanté).

 

En l'espèce, dans la décision du 12 juillet 2018, les juges du fond n'ont pas estimé opportun de considérer la clause comme non valable en raison de l'absence de précision de son champ d'application.


Toutefois, il est permis de croire que cette condition n'est pas totalement remplie.

 

En effet, rappelons les termes de la clause du contrat de travail « (...) tout lieu où la société exerce ou exercera son activité. Agence de rattachement administratif : Le Havre, Région : NO ». 

 

A première vue, il apparaîtrait que la mobilité peut intervenir dans tout lieu où la société exerce ou exercera son activité, soit tout lieu présent ou futur de l'entreprise, et que l'agence de rattachement est le Havre dans la Région de Normandie.

 

Une première remarque s'impose. La jurisprudence, entre 2013 et 2014 a eu tendance à considérer qu'une clause de mobilité ne pouvait pas prévoir qu'une mobilité pouvait avoir lieu dans des établissements futurs et qu'elle ne pouvait s'effectuer que dans les établissements existants à la date de signature du contrat.

 

Néanmoins, cette tendance a été battue en brêche par la chambre sociale le 14 février 2018 (Soc. 14 février 2018, n°16-23.042). La cour de cassation y a jugé qu'une clause prévoyant une mutation dans tous les établissements présents et futurs en France énumérant une liste de villes suivie de points de suspension était suffisamment précise.

 

On pourrait considérer que la chambre sociale s'inscrit dans une telle démarche dans l'arrêt de ce jour.

 

Deuxième remarque, les juges d'appel considèrent comme valable une mobilité au sein de la même région, à savoir la région de Normandie.

 

Or, si l'on s'en tient aux termes de la clause, ce n'est pas directement la mobilité au sein de la région Normandie qui est prévue, mais simplement le lieu de situation de l'agence de rattachement, à savoir : "Le Havre, région NO". 

 

Le pourvoi rappelle utilement que la cour d'appel a dénaturé les termes de la clause en faisant dire au contrat que la mobilité s'exercera dans la région de Normandie.

 

Ainsi, la cour d'appel retient les effets de la clause et non les termes de la clause, en estimant que la mobilité est valable en ce sens qu'elle est effectuée simplement dans la région.

 

Elle adopte un raisonnement différent de celui initié par la jurisprudence qui est de se limiter à la précision des termes de la clause. 

 

La cour de cassation valide ce raisonnement des juges d'appel.

 

Néanmoins, elle ne donne pas de règle à ce sujet, laissant aux juges du fond un pouvoir souverain en la matière, en estimant que qu'il n'y a pas lieu de retoquer le raisonnement adopté par les juges d'appel par une décision spécialement motivée.

 

On attend un arrêt qui vienne confirmer qu'une telle clause définit de façon précise sa zone géographique d'application.

 

 

 

La clause de mobilité doit être mise en oeuvre dans l'intérêt de l'entreprise

 

 

La bonne foi est présumée et il appartient au salarié de prouver que la décision de mettre en oeuvre la mobilité en vertu de la clause est motivée par un intérêt qui n'est pas celui de l'entreprise (Soc. 23 févr. 2005).

 

Aucune difficulté n'est à rapporter dans cet arrêt le salarié ne prouvant pas une raison étrangère à l'intérêt de la société, et l'entreprise de son côté rapportant qu'il y avait eu des difficultés économiques et qu'il n'était pas possible de pourvoir au remplacement du salarié pour occuper le poste à Lisieux.

 

 

 

L'absence d'atteinte disproportionnée à la vie normale et familiale du salarié

 

 

Il est constant que si une clause de mobilité est valable dans sa forme, elle peut faire l'objet d'une sanction lorsqu'elle est abusive dans sa mise en oeuvre. En ce cas, le refus du salarié d'exécuter son contrat de travail en vertu de la clause de mobilité n'est pas fautif (Soc. 2 juillet 2003). 

 

 

La cour de cassation a ainsi jugé qu'était en droit de refuser une mobilité après un retour d'arrêt de travail consécutif à un accident du travail la salariée qui avait son poste antérieur vacant et à sa charge un enfant handicapé moteur, dont il était nécessaire de s'occuper à la pause déjeuner (Soc. 6 février 2001).

 

Dans l'arrêt précité du 14 février 2018 (Soc. 16-23.042),  la cour de cassation a semblé faire preuve de sévérité accrue, s'agissant d'une salariée mère de deux enfants, dont l'époux travaillait à La Rochelle, et qui a fait l'objet d'une mutation de la région de La Rochelle à la région de Toulouse.

 

La cour a considéré qu'il n'y avait pas d'atteinte disproportionnée à la vie privée et familiale.

 

En l'espèce, dans l'arrêt du 12 juillet 2018, le salarié avançait des difficultés sur sa santé que pouvaient occasionner un trajet supérieur à 65 km. La circonstance de la santé n'est pas retenue et l'atteinte n'est pas jugée disproportionnée.

 

 

Le refus de mettre en oeuvre la clause de mobilité est-il constitutif de faute grave ?

 

 

Sur cette question, la jurisprudence était claire en ce qu'elle jugeait que le seul refus ne pouvait constituer une faute grave (Soc. 23 janv. 2008). 

 

 

Néanmoins, depuis l'arrêt du 14 février 2018, ce refus peut constituer une faute grave, et l'arrêt du 12 juillet s'inscrit dans la droite lignée de cet élan.

 

Il aurait pu être concevable que la cour de cassation censure les juges d'appel d'avoir décidé qu'il s'agissait d'une faute grave, alors que le licenciement aurait du être simplement fait pour cause réelle et sérieuse. En ce cas, le licenciement pour sanction inadéquate aurait été dépourvu de cause réelle et sérieuse.

 

En tout état de cause, il semble impossible de conclure à l'idée générale que le refus d'une mobilité en vertu d'une clause de mobilité constitue une faute grave tant les faits et le pouvoir des juges d'appel sont importants en la matière.

 

Dans cet arrêt, l'employeur avait réellement motivé en détail la lettre de licenciement et pris toutes les précautions nécessaires. Les juges d'appel ont pour leur part motivé correctement leur décision.

 

Il ne semble donc pas concevable de conclure à une règle tant la casuistique est importante. Dans une autre décision, la cour de cassation pourrait en toute vraisemblance juger qu'un salarié qui refuse une mobilité n'est pas fautif si, par exemple, son employeur agit avec une légêreté blâmable en étant peu précis dans la lettre de convocation à l'entretien préalable à sanction ou en ne donnant pas suffisamment de détails sur les circonstances du licenciement.

 

Wait and see. 

 

 

Retrouvez ici notre étude sur la clause de mobilité :


http://ledroitdutravail.over-blog.com/2015/10/etude-complete-sur-la-clause-de-mobilite.html

 

 

 

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16 janvier 2019 3 16 /01 /janvier /2019 10:54

La question de la mise en place du comité social et économique (CSE) dans un établissement distinct est intéressante à la suite qu'elle ait été insérée dans la loi par l'une des ordonnances « Macron » du 22 septembre 2017.

L'article L. 2313-4 du code du travail dispose qu'en l'absence d'accord collectif sur le sujet, « l'employeur fixe le nombre et le périmètre des établissements distincts, compte tenu de l'autonomie de gestion du responsable de l'établissement, notamment en matière de gestion du personnel. »

C'est dans ce contexte qu'intervient l'arrêt du 19 décembre 2018 rendu par la chambre sociale de la cour de cassation (Soc. 19 décembre 2018, n° 18-23.655). 

Début 2018, l'employeur du groupe SNCF, à la tête de trois établissements publics industriels et commerciaux, a fixé unilatéralement à 33 le nombre d'établissements distincts pour la mise en place des différents comités sociaux et économiques dans l'ensemble du groupe.

Les différents représentants syndicaux ont contesté la fixation du périmètre et du nombre d'instances mises en place en saisissant la DIRECCTE, estimant que d'autres directions étaient vouées à être pourvues d'un comité social et économique.

La DIRRECTE a néanmoins validé la décision du  chef d'entreprise, ce qui a porté les organisations syndicales à saisir le tribunal et à ce que la cour de cassation vienne se prononcer sur la question du critère permettant de caractériser un établissement distinct pour la mise en place d'un CSE.

Elle s'est prononcée le 19 décembre dans son second moyen en ne répondant que vaguement à cette problématique par un attendu reprenant les termes de l'article L. 2313-4 du code du travail et exigeant que le responsable de l'établissement doit avoir « une autonomie suffisante en ce qui concerne la gestion du personnel et l'exécution du service. »

 

La définition de l'établissement distinct légalisée

 

L'établissement distinct n'était pas présent dans la loi avant cette réforme et était défini par la jurisprudence. La jurisprudence faisait une distinction selon que l'on se trouvait en présence d'établissement distinct pour la mise en place de délégué du personnel et de délégué syndical, pour la mise en place de comité d'établissement ou de comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail.

Tantôt, concernant les délégués du personnel et les délégués syndicaux, exigeant la présence d'une communauté de travail susceptible de générer des revendications communes (voir notamment, Soc. 29 janvier 2003), tantôt exigeant, outre une implantation géographique distincte et un caractère de stabilité, une autonomie de gestion du responsable de l'établissement pour ce qui concerne les comités d'établissements (voir notamment, CE 1er juin 1979).

La loi s'est rangée, pour la mise en place du CSE, du côté du critère de l'autonomie du responsable en mettant de côté pleinement le critère de l'homogénéité de la communauté de travail qui était retenu pour la mise en place des délégués du personnel. 

On peut le regretter, car le CSE est voué à remplacer le délégué du personnel dans les entreprises et établissements dont l'effectif est compris entre 11 et 50 salariés et exerce ses attributions en portant à la direction les réclamations du personnel.

La question qui va se poser est de savoir quel degré d'autonomie sera exigé dans les établissements d'un tel effectif pour la mise en place du CSE. Y aura-t-il plus de souplesse dans l'exigence d'autonomie d'un responsable d'établissement à faible effectif ? Cette question n'est pas résolue par l'arrêt.

Au contraire, à première vue, la solution tendrait davantage à plus de sévérité par rapport à ce que dit la loi par l'ajout d'une condition qu'est la notion d'autonomie suffisante et le caractère cumulatif par l'adjonction du « et » entre la notion de « gestion du personnel et de l'exécution du service » dans les compétences que doivent avoir le responsable. 

 

Une autonomie suffisante dans la gestion du personnel et l'exécution du service

 

Ce faisant, l'arrêt étudié rajoute une condition à ce qu'exigeait simplement l'article L. 2313-4 du code du travail. La loi fait référence à l'autonomie de gestion du responsable de l'établissement, notamment en matière de gestion du personnel. Certes, l'utilisation de l'adverbe « notamment » laisse planer le doute sur l'exigence d'une compétence en plus que celle de la seule gestion du personnel. Mais, il est loisible au juge de ne pas rajouter à cet adverbe plus d'importance qu'il n'a. C'est pourtant ce que fait la décision du 19 décembre en exigeant des compétences en matière de gestion du personnel et en matière d'exécution du service. 

Ainsi, il s'aligne sur la position du conseil d'Etat qui était retenue, dès l'origine, pour la reconnaissance d'établissement distinct en matière de comité d'établissement (CE 29 juin 1973).

Néanmoins, la décision actuelle ne tient pas compte de la circonstance que le CSE fusionne des instances représentatives du personnel telles que les délégués du personnel. 

En l'état actuel des choses cette décision ne permet pas de conclure à une solution générale. Elle laisse notamment de côté la question de l'établissement distinct pour les établissements de 11 à 50 salariés. 

Si c'était le cas, bon nombre d'établissements ne disposant des délégations de compétences nécessaires en matière d'exécution du service se verraient tout bonnement privées de représentation du personnel.

Des décisions portant sur des établissements distincts dans les petites structures permettant de préciser cette jurisprudence seront les bienvenues.

 

Ci-dessous le texte de l'arrêt :

 

https://www.legifrance.gouv.fr/affichJuriJudi.do?oldAction=rechJuriJudi&idTexte=JURITEXT000037900270&fastReqId=582068596&fastPos=1

 

 

Et la note de la cour de cassation :

 

https://www.courdecassation.fr/jurisprudence_2/notes_explicatives_7002/relative_arret_40938.html

 

 

 

  

 

 

 

 

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15 août 2017 2 15 /08 /août /2017 13:51

Une salariée engagée en 1999 et occupant les fonctions de déléguée suppléante du personnel à compter de 2004 est licenciée pour faute lourde par lettre du 30 novembre 2012, après que l'inspecteur du travail autorise ce licenciement.

Elle est licenciée pour avoir détourné des fonds à des fins personnelles, chose qu'elle ne nie pas devant l'inspecteur du travail lorsque ce dernier apprécie la gravité de la faute. 

La cour d'appel de Nouméa par arrêt du 28 mai 2015 juge le licenciement sans cause réelle et sérieuse et condamne l'employeur à verser à la salariée les diverses indemnités de rupture, car la lettre de licenciement ne mentionne pas les griefs reprochés à la salariée et ne fait pas référence à l'autorisation administrative de licenciement accordée par l'inspecteur du travail.

L'employeur reproche à l'arrêt de juger le licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse, alors que l'inspecteur du travail autorise le licenciement et que cette autorisation est définitive, c'est-à-dire que les délais pour former les recours contre cette autorisation sont dépassés.

En outre, il fait grief à l'arrêt de considérer que la faute lourde n'est pas caractérisée en l'absence de preuve d'intention de nuire de la salariée, alors qu'en l'état d'une autorisation administrative de licenciement par l'inspecteur du travail devenue définitive, le principe de cette rupture ne peut plus être contesté en vertu du principe de la séparation des pouvoirs.

 

La question qui se pose devant la cour de cassation est de savoir dans quelle mesure la lettre de licenciement doit être motivée en présence d'un licenciement d'un salarié protégé autorisé par l'inspecteur du travail.

 

La cour de cassation rejette le pourvoi et juge que s'agissant d'un salarié protégé dont l'autorisation administrative de licenciement est devenue définitive, " la lettre de licenciement est suffisamment motivée si elle fait référence, soit à l'autorisation administrative, soit au motif du licenciement pour lequel l'autorisation a été demandée ".

 

Une solution qui éclaire l'articulation entre l'autorisation administrative et la lettre de licenciement pour le licenciement d'un salarié protégé, et précise la contestation du licenciement entre le juge administratif et le juge judiciaire.

 

I ) L'articulation de l'autorisation administrative et de la lettre de licenciement pour le licenciement d'un salarié protégé

 

A ) Obligation de demander l'autorisation de l'inspecteur du travail en matière de licenciement d'un salarié protégé

 

La loi impose s'agissant d'un salarié protégé de demander l'autorisation de l'inspecteur du travail afin de pouvoir procéder à son licenciement. Une fois l'entretien préalable tenu, l'employeur doit, s'agissant, d'un représentant du personnel tel que délégué du personnel ou membre du comité d'entreprise recueillir l'avis du comité d'entreprise sur la mesure du licenciement.

Ensuite, il doit saisir l'inspecteur du travail qui se livre à un contrôle du licenciement envisagé. Le licenciement ne doit pas revêtir de caractère discriminatoire et donc ne pas être en lien avec le mandat du salarié visé.

L'inspecteur du travail apprécie ensuite, s'agissant d'un licenciement disciplinaire, la gravité de la faute envisagée. La faute doit être d'une gravité suffisante pour justifier l'autorisation administrative de licenciement. 

L'inspecteur du travail accorde ou refuse l'autorisation demandée en motivant sa décision. Le silence vaut refus d'autorisation. A compter de la notification de la décision, un recours hiérarchique est ouvert dans les 2 mois ainsi qu'un recours contentieux auprès du tribunal administratif. Si le Ministre du travail est saisi dans le cadre du recours hiérarchique, ce dernier a 4 mois pour se prononcer, et dans les 2 mois suivant la décision de ce dernier, il est possible de faire un nouveau recours contentieux devant le juge administratif.

 

Passés ces délais, la décision est jugée définitive. La procédure individuelle auprès du salarié peut reprendre son cours normal.

 

B) Mention dans la lettre de licenciement de l'autorisation administrative de licenciement ou des motifs invoqués pour le licenciement

 

L'employeur est tenu pour licencier un salarié de lui notifier une lettre de licenciement qui doit, en principe mentionner les motifs de licenciement, qui ont déjà été évoqués à l'entretien préalable et exposés auprès de l'inspecteur du travail.

La lettre de licenciement fixe les limites du litige. A défaut d'énonciation des motifs de licenciement, le licenciement est jugé sans cause réelle et sérieuse (Soc. 29 novembre 1990).

L'exigence d'une lettre de licenciement qui mentionne les motifs est donc essentielle à respecter dans la procédure de licenciement et aucun employeur ne saurait s'en soustraire.

S'agissant d'un salarié protégé, la lettre de licenciement doit faire référence à l'autorisation administrative de licenciement accordée par l'inspecteur du travail, ou faire mention du ou des motifs pour lesquels l'autorisation a été demandée.

Condition alternative spécifique posée pour les salariés protégés qui s'explique par l'examen préalable par l'inspecteur du travail de la gravité suffisante de la faute pour laquelle le licenciement est demandé.

 

Les mentions de la lettre de licenciement d'un salarié protégé entraînent la question du contentieux et précisément la question de savoir comment se partagent les compétences entre le juge administratif et le juge judiciaire.

 

II ) La contestation du licenciement entre le juge administratif et le juge judiciaire

 

A ) Prépondérance de la procédure administrative dans le licenciement d'un salarié protégé

 

La lettre de licenciement intervient à la suite d'une procédure administrative qui peut s'avérer longue et qui implique un certain examen approfondi de la part de l'inspecteur du travail (audition des témoins et de l'auteur de la faute).

Les mentions succinctes de la lettre de licenciement sont la résultante de ce que celle-ci n'intervient que lorsque l'autorisation de l'inspecteur du travail est définitive, c'est-à-dire après l'expiration des délais de recours.

Recours hiérarchique et intervention éventuelle du juge dans le cadre du recours contentieux sont suffisants pour juger de la gravité de la faute motivant le licenciement. 

En application de la séparation des pouvoirs, le conseil des prud'hommes ne peut plus être saisi du principe de la rupture.

" En l'état d'une autorisation administrative accordée à l'employeur de licencier un salarié protégé, le juge judiciaire ne peut, sans violer le principe de séparation des pouvoirs, apprécier ni le caractère réel et sérieux des motifs retenus pour justifier le licenciement ni la régularité de la consultation du comité d'entreprise (Soc. 2 juin 2004).

 

Toutefois, l'on peut s'interroger de savoir si le juge judiciaire reste compétent pour juger, après coup, de la qualification de la faute par l'employeur dans la lettre de licenciement.

 

B ) Compétence des juges judiciaires pour la qualification de la faute lourde dans la lettre de licenciement

Pour un salarié protégé, l'inspecteur du travail apprécie si la faute est d'une gravité suffisante pour justifier son licenciement.

Néanmoins, l'employeur reste ensuite libre, dans sa lettre de licenciement de qualifier si la faute est sérieuse, grave ou lourde.

La faute lourde est lourde de conséquences puisqu'elle prive le salarié de ses indemnités de rupture, indemnité de préavis, indemnité de licenciement et indemnité compensatrice de congés payés (article L. 3141-26 du code du travail).

S'agissant d'un salarié ordinaire, le juge judiciaire peut minorer la gravité de la faute constatée par un employeur en décidant qu'il n'y a pas de faute grave par exemple, ce qui permet au salarié d'obtenir devant le conseil de prud'hommes son indemnité de préavis (Soc. 13 janvier 1998, n°95-45450).

La faute lourde exige de la part de l'employeur la preuve d'une intention de nuire.

La question subsidiaire que pose cet arrêt est de savoir s'il est possible après autorisation administrative de licenciement de saisir le juge judiciaire non pas du principe de la rupture, mais pour minorer la faute invoquée par l'employeur dans la lettre de licenciement.

Ainsi, en ne prouvant pas l'intention de nuire l'employeur pourrait être redevable des indemnités qui sont retenues dans le cadre d'un licenciement pour faute lourde.

La réponse apparaît affirmative lorsque l'on observe la situation des salariés grévistes.

Les salariés grévistes ne peuvent être licenciés que pour faute lourde de grève. Or, pour ces derniers, le recours au juge prud'homal est ouvert après coup pour contester la faute lourde devant le juge judiciaire.

Certes l'inspection du travail autorise le licenciement (pour faute lourde de grève, qui n'est pas la même faute lourde que celle communément admise).

On peut donc aisément admettre que le salarié protégé agisse devant le juge prud'homal pour contester l'existence d'une faute lourde pour obtenir ses indemnités compensatrices de préavis notamment.

 

 

 

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1 août 2017 2 01 /08 /août /2017 22:36

Une salariée pharmacienne engagée en 1986 s'est vue licencier en 2011 et a demandé devant la juridiction prud'homale des indemnités de rupture et des dommages et intérêts pour nullité de la clause de non concurrence. Cette clause insérée au contrat de travail prévoyait, pour la salariée, une interdiction, à la date de cessation de ses fonctions, d'exploiter une officine pendant une durée de 2 ans dans un périmètre géographique déterminé. 

 

La cour d'appel d'Amiens a débouté la salariée de ses demandes, en considérant que la clause contractuelle intervenait dans le cadre des prescriptions du code de la santé publique qui interdisent, sauf accord des parties, au pharmacien collaborateur d'exploiter une officine pendant une durée de 2 ans (articles R. 4235-37 et R. 5015-59). 

 

L'affaire a été portée devant la Cour de cassation qui a tranché la question de savoir si une clause contractuelle insérée dans un contrat de travail d'une pharmacienne collaboratrice pouvait ne pas comporter de contrepartie financière

 

Par arrêt du 23 mai 2017, la Chambre sociale de la cour de cassation juge que les dispositions réglementaires en la matière sont supplétives de la volonté des parties et qu'en présence d'une clause de non-concurrence insérée au contrat, il est impossible de déroger à l'obligation de prévoir une contrepartie financière.

 

I - L'exigence générale d'une contrepartie pécuniaire aux clauses contractuelles de non concurrence

 

A ) Le respect du principe fondamental de libre-exercice d'une activité professionnelle

 

Le principe fondamental de libre exercice d'une activité professionnelle est énoncé par l'article 6.1 du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels du 16 décembre 1966. L'article L. 1121-1 du code du travail vient pour sa part énoncer que "nul ne peut apporter aux droits des personnes et aux libertés individuelles de restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir et proportionnées au but recherché". La chambre sociale juge par arrêts du 10 juillet 2002 qu'entre autres conditions, la "clause de non concurrence n'est licite que si elle comporte l'obligation pour l'employeur de verser au salarié une contrepartie financière" (Soc. 10 juillet 2002). Un salarié peut librement demander la nullité de la clause de non-concurrence devant les tribunaux si une contrepartie minimale n'est prévue pour compenser la restriction imposée à sa liberté au travail. Cette nécessité est si impérieuse que le salarié peut invoquer l'illicéité de la clause de non-concurrence, même si celle-ci a été conclu à une époque où la jurisprudence n'exigeait pas de contrepartie financière, ce qui est le cas en l'espèce. En outre, le salarié peut demander des dommages et intérêts car la nullité de la clause crée nécessairement un préjudice.

Toutefois, l'on peut s'interroger de l'exigence d'une contrepartie financière dans le cas des contrats des pharmaciens collaborateurs.

 

B ) Une exigence de contrepartie financière pour les clauses insérées dans les contrats des pharmaciens 

Les contrats de travail des pharmaciens collaborateurs interviennent dans un contexte où les dispositions réglementaires encadrent l'exercice de la profession après la cessation des fonctions. Ce sont les articles R. 4235-37 et R. 5015-59 du code de la santé publique qui prévoient, pour le premier de ces articles, que le pharmacien "qui, soit pendant, soit après ses études, a remplacé, assisté ou secondé un de ses confrères durant une période d'au moins six mois consécutifs ne peut, à l'issue de cette période et pendant deux ans, entreprendre l'exploitation d'une officine ou d'un laboratoire d'analyses de biologie médicale où sa présence permette de concurrencer directement le confrère remplacé, assisté ou secondé, sauf accord exprès de ce dernier".

 

II ) Une exigence tempérée par les dispositions réglementaires applicables aux pharmaciens

 

A ) L'absence de contrepartie pour les contrats des pharmaciens sans clause de non concurrence

A défaut d'une clause précise mentionnée au contrat de travail, il semble que les dispositions réglementaires ne prescrivant pas de contrepartie pécuniaire s'appliquent au salarié. En revanche, en présence d'une clause contractuelle, cette disposition vaut dérogation aux prescriptions réglementaires et la clause est ainsi soumise aux conditions de la clause de non-concurrence qui doit, pour être valable, proposer une contrepartie financière. C'est la question qui se pose dans notre cas d'espèce. 

La cour d'appel juge que la clause ne prévoyant pas de contrepartie financière rentre dans le cadre des prescriptions réglementaires. La cour de cassation censure l'arrêt des juges du fond en considérant que dans la mesure où la clause figure dans le contrat de travail, elle déroge aux dispositions du code de la santé publique qui sont supplétives, et les exigences de droit commun inhérentes aux clauses de non-concurrence s'appliquent.

Cette position des juges judiciaires s'alignent sur la position adoptée par le Conseil d'Etat.

 

B ) Une position alignée sur la jurisprudence administrative

En ce sens, la juridiction suprême suit la position adoptée par le Conseil d'Etat en la matière. La Haute chambre administrative est saisie par la salariée qui estime que les dispositions du code de la santé publique sont illégales et soulève l'exception d'illégalité du deuxième article en  cause. Le Conseil d'Etat juge par arrêt du 17 octobre 2016 dans son troisième considérant "que ces dispositions [de l'article R. 5015-59 du code de la santé publique] n'ont pas pour objet ou pour effet d'imposer ou d'autoriser la présence de certaines clauses dans les contrats conclus entre un pharmacien et un de ses salariés, mais seulement de prévoir que, dans le silence du contrat, les règles qu'elles énoncent doivent être respectées à titre d'obligations déontologiques entre membres de cette profession réglementée ;"(CE 17 octobre 2016, 389903).

Cette solution est à relativiser dans la mesure où l'interdiction réglementaire prévue par les articles du code de la santé publique ne visent que l'exploitation d'une officine. Elle ne vise pas le travail au sein d'une officine, ou de simple pharmacien. La clause de non-concurrence prévue contractuellement doit, à peine de nullité, prévoir une contrepartie financière. La convention collective nationale des pharmaciens d'officine ne prévoit pas une telle contrepartie financière.  

 


 

 

 

 

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